CRITICS

Georges Boudaille, Gallerie Lumiere, 1967 (french)

la peinture de Seund Ja Rhee: passeport pour l’extrême-orient

2017-01-16

Tous ceux qui vont découvir la peinture de SEUND JA RHEE dans son ampleur – et ce sera la première fois même pour ceux qui la connaissent déjà – vont éprouver, je pense, une étrange sensation de dépaysement . Bien qu’elle soit résolument modern – abstraite en l’occurrence – et qu’elle figure régulièrement dans la plupart des grandes manifestations artistiques parisiennes, la peinture de SEUND JA RHEE exhale un parfum qui n’appartient qu’à elle. Plus, elle crée autour d’elle une atmosphère typique et qui ne peut échapper alors même que le sens profond de son inspiration demeure obscur à l’amateur occidental.

 

 Pour aller au fond de ma pensée, je dirai que c’est une peinture qu’on n’a pas besoin d’analyser ; elle vous imprègne et vous impose un certain état d’esprit alors qu’on n’y prend pas garde. Devant une toile de SEUND JA RHEE, le spectateur se sent peu à peu envahi par une philosophie nouvelle pour lui, une sérénité étrangère à l’européen, une poésie qui le projette loin en avant dans l’espace et lui ouvre des horizons inconnus. L’amateur devient, pour un temps, un autre homme qui échappe aux misérables préoccupations matérielles de notre cvilisation, qui prend la juste mesure de toute chose, qui participe à une sagesse millénaire.

 

 Par quelle magie, demadera-t-on, SEUND JA RHEE exerce-t-elle un tel pouvoir sur les amateurs de sa peinture? Par la seule magie de la peinture. SEUND JA RHEE n’est ni un moine Zen, ni une sorcière, ni une jeteuse de sort. Son seul secret c’est d’avoir découvert le moyen de se projeter tout entière, elle et tout ce en quoi elle croit, dans sa peinture. Est-ce à dire que son œuvre apparaît comme une sorte de Coran oriental, de résumé de la science boudhiste? Peut-être, mais le message n’en est pas déchiffrable intellectuellment, il ne peut passer du peintre au spectateur que par les voies plus subtiles et plus mystérieuses de l’instinct, de l’inconscient, de tout ce que notre sensibilité continue à recéler d’irrationnel.

 

 La peinture de SEUND JA RHEE cependant se présente sous des aspects très simples, d’une extrême simplicité même, primitifs pourront dire certains observateurs. Car SEUND JA RHEE ne décrit pas, ne gesticule pas, ne tente ni de séduire ni de suggérer, en un mot n’emploie aucun des <<trucs>> ou des procédés habituels du peintre contemporain ; et c’est par là qu’elle fait figure d’isolée. SEUND JA RHEE se limite à transcrite une vision intérieure, un schéma psychique permanent et constamment renouvelé de la manière la plus directe possible. Sa seule préoccupation de peintre est le respect du plan de la toile et de son format. Je veux dire qu’elle s’efforce de maintenir le chatoiement coloré à travers lequel elle s’exprime au niveau de la surface du mur et automatiquement ou instinctivement chez elle, les signes qu’elle déploie oualigne s’inscrivent dans le cadre de la toile et s’organisent en une composition plastiquement harmonieuse. Ainsi une toile de SEUND JA RHEE en arrive à apparaître au spectateur hâtif comme une surface homogène, presque uniformément recouverte de touches colorées.

 

Nous touchons ici aux mécanismes spécifiques de la peinture. Cette surface chromatique modulée, pour parler un peu pédantesquement, n’est pas le reflet d’un jeu gratuit. Elle n’amuse pas seulement l’œil ; elle est chargée d’un potentiel psychique et, à travers le legard, elle déclanche chez le spectateur un processus intellectuel logique et mystérieux à la fois. C’est ainsi que selon les lois d’une symbolique presque universelle, certaines formes et certaines couleurs, d’après la façon don’t elles sont assemblées, sollicitent en nous certaines associations mentales. La musique dans sa forme romantique n’agit pas autrement sur l’auditeur. C’est pour avoir maîtrisé et contrôlé ces mécanismes que SEUND JA RHEE est le peintre qu’elle est, encore peu connue et pourtant appréciée de tous ceux qui touchent à l’art en France.

 

 Cette exposition offrira de l’œuvre de SEUND JA RHEE un aspect entièrement nouveau. Non seulement elle comporte une série de toiles récentes qui n’ont jamais été exposées, mais aussi elle déploie un ensemble de grandes toiles s’étendant sur huit ans et constituant une petite rétrospective. En fait, la date choisie pour le début de ce panorama correspond à une certaine prise de conscience pour l’artiste. SEUND JA RHEE avait déjà un long passé de peintre, et je ne peux mieux faire que de reprendre ici les lignes que j’écrivais en tête du catalogue de son exposition à la Galerie Charpentier en 1964.

 

 Comme tant  d’artistes, hôtes étrangers de Paris pour quelques mois ou pour toute une vie, elle s’abandonna d’abord à toutes les influences, céda aux courants esthétiques dominants, en un mot, fit le tour des mille possibilités d’expression qui s’offraient. Je la connus élève de l’atelier de HENRI GOETZ. Je ne crois pas trop la vieillir en précisant qu’il y a plus de dix ans de cela. Paradoxalement, plus son style s’occidentalisait, plus SEUND JA RHEE se perdait. Elle n’était plus qu’un peintre parmi tant d’autres, œuvrant dans la voie d’une époque, renonçant à elle-même pour être comme tout le monde.

 

 Un jour, elle eut la révélation d’elle-même.

 

 Dans un trapèze rénversé, SEUND JA RHEE se reconnut.

 

 La forme était celle d’un toit de pagode inversé. La matière en était aussi éloignée de l’aplat que des savantes modulations : elle s’apparentait à la texture d’un toit de paille tressée, où les stries jaunes se mêlaient intimement aux fibres rouges. Toute une cité s’organisait, comme sur un plan, autour de cet élément central. Une poésie originale se dégageait de cette composition insolite et cependant respectueuse des plus stricts principes plastiques.

 

 La coréenne SEUND JA RHEE découvrait enfin qu’elle ne pourrait être elle même et s’affirmer en reniant sa nature profonde. Orientale, elle est et elle est restée après tant d’années de vie en Europe.

 

 C’est une technique orientale également que SEUND JA RHEE emploie poue ses gravures dont un large ensemble sera pour la première fois exposé à Paris, une technique proche de celle de l’estampe japonaise : le bois gravé adapté aux impératifs de son style. Par un jeu de hachures, de superpositions de couleurs naissent non seulement des rythmes mais des effets optiques équivalents à ceux de la peinture. Par la substitution d’une gamme de teintes à une autre lors du tirage, apparaît une gravure différente, baignant dans une atmosphère fictive radicalement modifiée. Ainsi se trouve encore encore multipliée la diversité interne et profonde de son œuvre gravée.

 

 Que ce soit en gravure ou en peinture, la réussite de SEUND JA RHEE est de couler une poésie personnelle et orientale dans une forme qui a la valeur d’un language international. L’art moderne n’est pas un espéranto, mais il y tend et l’effort de tout artiste authentique est d’insuffler dans ce mode d’expression universellement intelligible une émotion authentique et originale. C’est ce que fait la coréenne SEUND JA RHEE et c’est là le secret de l’attrait qu’exerce son œuvre.

 

Georges BOUDAILLE