la peinture de Seund Ja Rhee: passeport pour l’extrême-orient
2017-01-16Tous ceux qui vont découvir la peinture de SEUND JA RHEE dans son ampleur – et ce sera la
première fois même pour ceux qui la connaissent
déjà – vont éprouver, je pense, une étrange sensation
de dépaysement . Bien qu’elle soit résolument modern – abstraite en l’occurrence
– et qu’elle figure régulièrement dans la plupart des grandes manifestations
artistiques parisiennes, la peinture de SEUND JA RHEE exhale un parfum qui n’appartient
qu’à elle. Plus, elle crée autour d’elle une atmosphère typique et qui ne peut échapper
alors même que le sens profond de son inspiration demeure obscur à l’amateur
occidental.
Pour aller au fond de ma pensée, je dirai que c’est une peinture qu’on n’a pas besoin d’analyser ; elle vous imprègne et vous impose un certain état d’esprit alors qu’on n’y prend pas garde. Devant une toile de SEUND JA RHEE, le spectateur se sent peu à peu envahi par une philosophie nouvelle pour lui, une sérénité étrangère à l’européen, une poésie qui le projette loin en avant dans l’espace et lui ouvre des horizons inconnus. L’amateur devient, pour un temps, un autre homme qui échappe aux misérables préoccupations matérielles de notre cvilisation, qui prend la juste mesure de toute chose, qui participe à une sagesse millénaire.
Par
quelle magie, demadera-t-on, SEUND JA RHEE exerce-t-elle un tel pouvoir sur les
amateurs de sa peinture? Par la seule magie de la peinture. SEUND JA RHEE n’est
ni un moine Zen, ni une sorcière, ni une
jeteuse de sort. Son seul secret c’est d’avoir découvert le moyen de se projeter tout entière, elle et tout ce en quoi elle croit, dans sa peinture. Est-ce à
dire que son œuvre apparaît comme une sorte de Coran oriental, de résumé de la
science boudhiste? Peut-être, mais le message n’en est pas déchiffrable
intellectuellment, il ne peut passer du peintre au spectateur que par les voies
plus subtiles et plus mystérieuses de l’instinct, de l’inconscient, de tout ce
que notre sensibilité continue à recéler d’irrationnel.
La
peinture de SEUND JA RHEE cependant se présente sous des aspects très simples,
d’une extrême simplicité même, primitifs pourront dire certains observateurs.
Car SEUND JA RHEE ne décrit pas, ne gesticule pas, ne tente ni de séduire ni de
suggérer, en un mot n’emploie aucun des <<trucs>> ou des procédés
habituels du peintre contemporain ; et c’est par là qu’elle fait figure d’isolée.
SEUND JA RHEE se limite à transcrite une vision intérieure, un schéma psychique
permanent et constamment renouvelé de la manière la plus directe possible. Sa
seule préoccupation de peintre est le respect du plan de la toile et de son
format. Je veux dire qu’elle s’efforce de maintenir le chatoiement coloré à
travers lequel elle s’exprime au niveau de la surface du mur et automatiquement
ou instinctivement chez elle, les signes qu’elle déploie oualigne s’inscrivent
dans le cadre de la toile et s’organisent en une composition plastiquement
harmonieuse. Ainsi une toile de SEUND JA RHEE en arrive à apparaître au spectateur
hâtif comme une surface homogène, presque uniformément recouverte de touches
colorées.
Nous
touchons ici aux mécanismes spécifiques de la peinture. Cette surface
chromatique modulée, pour parler un peu pédantesquement, n’est pas le reflet d’un
jeu gratuit. Elle n’amuse pas seulement l’œil ; elle est chargée d’un potentiel
psychique et, à travers le legard, elle déclanche chez le spectateur un
processus intellectuel logique et mystérieux à la fois. C’est ainsi que selon
les lois d’une symbolique presque universelle, certaines formes et certaines
couleurs, d’après la façon don’t elles sont assemblées, sollicitent en nous
certaines associations mentales. La musique dans sa forme romantique n’agit pas
autrement sur l’auditeur. C’est pour avoir maîtrisé et contrôlé ces mécanismes
que SEUND JA RHEE est le peintre qu’elle est, encore peu connue et pourtant
appréciée de tous ceux qui touchent à l’art en France.
Cette exposition offrira de l’œuvre de SEUND JA RHEE un aspect entièrement nouveau. Non seulement elle comporte une série de toiles récentes qui n’ont jamais été exposées, mais aussi elle déploie un ensemble de grandes toiles s’étendant sur huit ans et constituant une petite rétrospective. En fait, la date choisie pour le début de ce panorama correspond à une certaine prise de conscience pour l’artiste. SEUND JA RHEE avait déjà un long passé de peintre, et je ne peux mieux faire que de reprendre ici les lignes que j’écrivais en tête du catalogue de son exposition à la Galerie Charpentier en 1964.
Comme tant
d’artistes, hôtes étrangers de Paris pour quelques mois ou pour toute une vie, elle s’abandonna
d’abord à toutes les
influences, céda aux courants
esthétiques dominants, en un mot, fit le tour
des mille possibilités d’expression
qui s’offraient. Je la connus élève de l’atelier de HENRI GOETZ.
Je ne crois pas trop la vieillir en précisant qu’il y a plus de dix ans de
cela. Paradoxalement, plus son style s’occidentalisait, plus SEUND JA RHEE se
perdait. Elle n’était plus qu’un peintre parmi tant d’autres, œuvrant dans la
voie d’une époque, renonçant à elle-même pour être comme tout le monde.
Un
jour, elle eut la révélation d’elle-même.
Dans
un trapèze rénversé, SEUND JA RHEE se reconnut.
La
forme était celle d’un toit de pagode inversé. La matière en était aussi éloignée
de l’aplat que des savantes modulations : elle s’apparentait à la texture d’un
toit de paille tressée, où les stries jaunes se mêlaient intimement aux fibres
rouges. Toute une cité s’organisait, comme sur un plan, autour de cet élément
central. Une poésie originale se dégageait de cette composition insolite et
cependant respectueuse des plus stricts principes plastiques.
La
coréenne SEUND JA RHEE découvrait enfin qu’elle ne pourrait être elle même et s’affirmer
en reniant sa nature profonde. Orientale, elle est et elle est restée après
tant d’années de vie en Europe.
C’est
une technique orientale également que SEUND JA RHEE emploie poue ses gravures dont
un large ensemble sera pour la première fois exposé à Paris, une technique
proche de celle de l’estampe japonaise : le bois gravé adapté aux impératifs de
son style. Par un jeu de hachures, de superpositions de couleurs naissent non
seulement des rythmes mais des effets optiques équivalents à ceux de la
peinture. Par la substitution d’une gamme de teintes à une autre lors du
tirage, apparaît une gravure différente, baignant dans une atmosphère fictive
radicalement modifiée. Ainsi se trouve encore encore multipliée la diversité
interne et profonde de son œuvre gravée.
Que
ce soit en gravure ou en peinture, la réussite de SEUND JA RHEE est de couler
une poésie personnelle et orientale dans une forme qui a la valeur d’un
language international. L’art moderne n’est pas un espéranto, mais il y tend et
l’effort de tout artiste authentique est d’insuffler dans ce mode d’expression
universellement intelligible une émotion authentique et originale. C’est ce que
fait la coréenne SEUND JA RHEE et c’est là le secret de l’attrait qu’exerce son
œuvre.
Georges BOUDAILLE